Sculpture « L’attente » Michel Born 2021
« L’Attente », sculpture en mélèze, 2020
Un bois, jamais je n’ai acheté un bois pour sculpter, chaque bois a son histoire et je veux garder cette histoire dans la sculpture. Quand je sculpte, en pénétrant dans l’intimité du bois je rencontre son histoire, ses nœuds, ses cicatrices, ses failles, ses crevasses, ses cassures, ses douceurs … et j’essaie de les intégrer dans le projet que j’ai pour ce bois-là. Ici, une buche ramassée à Molines-en-Queyras, pas par hasard, du mélèze, ce bois dont on fait les chalets, les poutres, les toits dans le Queyras. Il me parle des alpages fleuris, des rivières s’écoulant tantôt paisibles tantôt en torrent « tu seras comme un arbre planté au bord du torrent qui étend ses racines vers le courant » ! Il a trainé 4-5 ans dans ma cave puis je l’ai retrouvé, quand, après avoir fini un tableau et une sculpture en terre glaise, j’ai pensé à sculpter une silhouette féminine comme celles que je modèle en terre depuis quelques années. Comme à chaque fois, je passe en revue dans ma mémoire les images de sculptures qui m’ont touchées pendant mes pérégrinations … je suis un visuel, j’ai une mémoire visuelle ! … me viennent les vierges du Moyen-Age, les bas-reliefs de Gauguin, les dames africaines que Martin sculptaient dans l’ivoire ou l’ébène à Kisangani, les dames de Brancusi, Modigliani et Ianchelevichi…et mon esprit s’arrête sur l’image fugace d’une femme de pêcheur attendant son mari vue je ne sais plus sur quelle digue ou bord de plage … l’idée est là, « l’attente » ,les mains derrière le dos … une attente ambigüe, confiante et anxieuse comme celle d’une mère, d’une aimante !
Alors je gratte la surface, l’écorce avec mon couteau, couteau acquis à Aoste où la sculpture du bois est une activité hivernale de beaucoup d’hommes depuis la nuit des temps coincés par la neige. Mais le bois, quoiqu’assez tendre résiste, ne se laisse entamer que par toutes petites touches. Il m’oblige à prendre un ciseau à bois et un marteau pour le dégrossir jusqu’à l’apparition de l’esquisse de la silhouette … des heures, parfois le matin, souvent le soir, à la place de regarder la TV avec une pseudo discrétion dans mon garage-cave-atelier pour ne pas que le martellement sourd du marteau sur le bois ne dérange trop !…des heures à me « battre » sans agressivité, comme une tendre guerre, avec la constante inquiétude de donner un coup trop fort ou mal placé qui enlèverait trop de bois car, avec la terre on peut corriger de telles erreurs mais le bois ne le pardonnera pas. Puis un va et vient incessant entre différents ciseaux à bois, différents couteaux et ponçages pour modeler, affiner …. Lutte tantôt patiente, tantôt impétueuse comme lorsqu’on essaie de modeler un enfant qui deviendra à la fois proche mais aussi très différent de ce que l’on projette pour lui.